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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

plaisantant et moitié triste : — « Addio, signorina, » pour me rappeler l’Italie.

Peut-être était-ce la première fois de ma vie que j’ai versé des larmes exemptes d’égoïsme et de colère ?

Il y a quelque chose de particulièrement navrant dans la mort d’un être entièrement inoffensif, entièrement bon ; c’est comme un pauvre chien qui n’avait jamais fait de mal à personne.

Comme, vers une heure, il s’était senti soulagé, les dames rentrèrent dans leurs chambres ; ma tante seule restait là, lorsqu’il manqua d’air au point qu’on dut lui jeter de l’eau au visage.

Un peu revenu, il se leva car il voulait absolument aller dire adieu à grand-papa ; mais à peine dans le corridor, il n’eut que le temps de se signer trois fois et de crier en russe : Adieu ! mais d’une voix si forte que maman et Dina se réveillèrent et accoururent pour le voir tomber entre les bras de ma tante et de Tryphon.

Je ne me rends pas compte, cela me semble impossible ; c’est si terrible !

Walitski est mort ! C’est une perte irréparable, on ne se fera jamais à l’idée qu’il puisse exister dans la vie réelle un pareil caractère.

Attaché comme un chien à toute notre famille, et platoniquement. Oh ! mon Dieu, oui, plutôt dix fois qu’une.

On voit des gens comme ça dans les livres. Eh bien, qu’il entende ma pensée ; j’espère que Dieu lui fait la grâce de sentir ce qu’on pense et dit de lui. Qu’il m’entende donc, de l’endroit où il se trouve, et si jamais il a eu à se plaindre de moi, il me pardonnera pour ma profonde estime, mon amitié sincère et mes regrets du fond de l’âme !