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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Lundi 23 juin. — Je suis toujours sous l’impression douloureuse de cet atroce événement. Le public, un peu revenu de sa stupeur, se demande par quelle criminelle imprudence le malheureux enfant a été livré aux sauvages.

La presse anglaise s’émeut de la lâcheté des compagnons du prince. Et moi, qui n’y suis pour rien, en lisant ces lamentables détails, je sens le souffle me manquer et les larmes qui me montent dans les yeux. Je n’ai jamais été plus dérangée, et les efforts que je fais toute la journée pour ne pas pleurer m’oppressent. On dit que l’Impératrice est morte cette nuit, mais aucun journal ne confirme cette nouvelle affreuse et consolante. Ce que j’ai de rage dans le cœur, quand je pense qu’il eût été si facile de prévenir ce crime, ce malheur, cette infamie !

On voit encore des figures consternées dans la rue et il y a des marchandes de journaux qui pleurent. Et moi, je fais comme les marchandes de journaux, tout en avouant que ce n’est ni explicable, ni naturel. Je voudrais tant prendre le vrai deuil avec du crêpe. Cela répondrait bien à la disposition de mon esprit.

Qu’est-ce que ça vous fait ? me dira-on. Je ne sais pas ce que ça me fait, ça me fait très mal.

Il n’y a personne, je suis enfermée chez moi, je n’ai pas à poser et je fonds en larmes, ce qui est bête parce que cela m’affaiblit les yeux ; déjà ce matin, je l’ai senti en travaillant. Mais je ne puis me calmer à la pensée des circonstances fatales, horribles, épouvantables qui entourent cette mort, à la scélératesse de ses compagnons.

Il eût été si facile d’éviter cela !


Mercredi 2 juillet. — Ayant lu d’autres déposi-