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JOURNAL

— Vous êtes comblée de mes bienfaits, dis-je en riant à Breslau, en lui offrant une nouvelle tranche.

— Vous voyez bien que je me fiche de vous ! me dit-elle en la prenant.

— Pas tant que moi de vous. Mais, si vous vous fichiez de moi tant que cela, vous seriez moins rouge.

— Je me fiche aussi de moi.

— Ah ! fort bien alors.

Et comme cela devenait assez tendre, je me mis à les regarder en riant : — Je vous admire !

— Moi ? demanda Breslau.

— Oui, vous.

— Vous faites bien.

— Parbleu !

Et c’est tout.

— Venez-vous, Sarah ? dit Breslau. Je me remis à ma lessive. — C’est enfant.


Vendredi 18 avril. — J’ai cherché une coiffure empire ou directoire, ce qui m’a fait lire la notice sur Mme Récamier, et naturellement je suis aplatie en pensant que je pourrais avoir un salon et que je ne l’ai pas.

Les bêtes vont crier que je me crois aussi belle que la Récamier et aussi spirituelle qu’une déesse.

Laissons crier les bêtes et contentons-nous de dire que je mérite un sort meilleur, et la preuve c’est que tous ceux qui me voient s’imaginent que je trône et que je suis une femme remarquable. On pousse un immense soupir et l’on se dit : Mon jour viendra peut-être… Je suis habituée à Dieu, j’ai essayé de n’y pas croire, mais je ne peux pas… Ce serait un effondrement général, un chaos ; je n’ai que Dieu, un Dieu qui s’occupe de toutes mes petites choses et auquel je parle de tout.