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JOURNAL

sailles, le premier jour de la présidence Gambetta. Son discours, qu’il a lu, a été accueilli avec enthousiasme ; et fût-il encore plus mauvais, qu’il en serait de même. Gambetta a mal lu et d’une voix détestable. Il n’a aucune mesure comme président et, quand on a vu Grévy, on se demande ce que cet homme vient faire. Pour présider une Chambre il ne suffit pas d’avoir du talent, il faut un tempérament spécial. Grévy présidait avec une régularité, une précision mécaniques. Le premier mot de sa phrase était semblable au dernier. Gambetta a des crescendo, des ralentissements, des élargissements et des rétrécissements ; des mouvements de tête, des hauts et des bas… Bref, ou il a fait une incohérence, ou il est bien malin.


Dimanche 16 février. — Samedi j’ai été grondée.

— Je ne comprends pas qu’avec les dispositions que vous avez, vous ayez tant de difficulté à peindre.

Oui, je ne le comprends pas non plus, mais je suis paralysée. Il n’y a plus à lutter. Il faut mourir. Mon Dieu, mon bon Dieu ! Il n’y a donc plus rien à attendre de personne ? Ce qu’il y a de révoltant, c’est que je viens de remplir de bois la cheminée sans aucune nécessité, car je n’ai pas du tout froid…, tandis que peut-être au même instant il y a des malheureux qui ont faim, qui ont froid et qui pleurent de misère. Ce sont là des réflexions qui arrêtent immédiatement les larmes que je me complais à répandre. Ce n’est peut-être qu’une idée ; mais je crois que j’aimerais autant la misère complète ; car alors on est au fond, on n’a rien à craindre ; et l’on ne meurt pas de faim tant qu’on a des forces pour travailler.


Mardi 18 février. — Tout à l’heure, je suis allée tom-