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JOURNAL

C’est le travail d’un garçon, a-t-on dit de moi. Cela a du nerf ; c’est nature.

— Je te disais bien que nous avions là-haut une gaillarde, a dit Robert-Fleury à Lefebvre.

— Vous avez la médaille, Mademoiselle, me dit Julian, et vous l’avez avec succès, ces Messieurs n’ont pas hésité.

J’ai fait monter un punch, comme c’est l’usage en bas, et on a appelé Julian. On m’a félicitée, car beaucoup s’imaginent que je suis arrivée au comble de mon ambition et qu’elles seront débarrassées de moi.

Wick, qui a eu la médaille à l’avant-dernier concours, est huitième ; mais je la console en lui répétant cette phrase si juste, et qui est, après tout, la définition la plus scrupuleusement exacte de ces choses-là, d’Alexandre Dumas qui disait : « Qu’une mauvaise pièce n’était pas la preuve qu’on n’eût pas de talent, tandis qu’une bonne était la preuve qu’on en a. »

Un génie peut faire une chose mauvaise, mais un imbécile ne peut pas en faire une bonne.


Jeudi, janvier. — Sauf quelques-unes, les élèves du soir ne sont pas les mêmes que le jour.

On m’a beaucoup félicitée. Ça a été un bon moment tout de même…

Venez chercher votre médaille !…

L’autre soir, chez Madame de M, d’un ton grave et doux, je dis, en montrant cette médaille : — Cela représente bien du courage, Madame !

En effet, cela représente douze mois de travail. — Avec la peur que j’eus après ma rencontre royale de Naples, la sensation la plus violente de ma vie est celle que m’a causée aujourd’hui la lecture de l’Homme-Femme. L’admiration que j’éprouvais pour Dumas me fit croire