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JOURNAL

qui rôde est une imprudence. Et en Italie et à Rome ? Allez donc en landau voir des ruines !

— Où vas-tu, Marie ?

— Voir le Colysée.

— Mais tu l’as déjà vu ! Allons au théâtre ou, à la promenade, il y aura foule.

Et cela suffit pour que les ailes tombent.

C’est une des grandes raisons pour lesquelles il n’y a pas d’artistes femmes. Ô crasse ignorance ! ô sauvage routine ! Ce n’est pas la peine de parler !

Quand même on dirait des choses sensées, on serait sous le coup de ces moqueries communes et anciennes dont on accable les apôtres des femmes. D’ailleurs, je crois qu’on a raison de rire. Les femmes ne seront jamais que des femmes ! Mais pourtant… Si on les élevait de la même manière que les hommes, l’inégalité que je déplore serait nulle et il ne resterait que celle qui est inhérente à la nature même. Eh bien, quoi que je dise, il faut crier et se rendre ridicule (je laisserai ce soin à d’autres) pour obtenir cette égalité dans cent ans.

Moi, je tâcherai de la donner à la société en lui montrant une femme qui sera devenue quelque chose, malgré tous les désavantages dont la comble la société.


Vendredi 10 janvier. — Robert-Fleury est venu le soir à l’atelier.

Nous dinons et déjeunons au café Anglais où l’on mange bien ; en fait de cabaret, c’est le meilleur.

Les journaux bonapartistes et le Pays, en particulier, sont restés si sots devant les élections, que j’en éprouve comme un sentiment de honte pour eux, comme hier pour Massenet, quand on a bissé son incantation et qu’à la seconde fois cela parut moins beau.