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JOURNAL

— Non, dit-il, c’est pour ceux qui sont à gauche, vous pouvez rester.

Et il lui posa la main sur la tête de façon à la faire incliner très bas. Puis il nous donna sa main à baiser et passa à d’autres, adressant quelques mots à chacun. Quand il passa du côté gauche, ce fut à notre tour de nous relever. Ensuite il s’arrêta au milieu et de nouveau on s’agenouilla, et il nous fit un petit discours en fort mauvais français, comparant les demandes d’indulgences à l’approche du Jubilé, au repentir qui vient au moment de mourir, et disant qu’il fallait gagner le ciel peu à peu, en faisant tous les jours quelque chose d’agréable à Dieu.

— C’est peu à peu qu’il faut gagner sa patrie, dit-il, mais la patrie ce n’est pas Londres, ce n’est pas Saint-Pétersbourg, ce n’est pas Paris, c’est le ciel ! Il ne faut pas attendre au dernier jour de sa vie, il faut y penser tous les jours, et non pas faire comme on fait à l’approche du Jubilé. Non è vero ? ajouta-t-il en italien se tournant vers un de sa suite, anchè il cardinale*** (le nom m’échappe) lo sà.

Le cardinal apostrophé se mit à rire, ainsi que tous les autres ; ça devait avoir un sens pour eux, et le saint Père s’en alla très content et très souriant, après avoir donné sa bénédiction aux personnes, aux chapelets, aux images, etc. J’avais un chapelet que j’ai enfermé dans ma boîte à savon, aussitôt rentrée.

Pendant que ce vieux bénissait et parlait, je priais Dieu de faire en sorte que la bénédiction du pape me fût une vraie bénédiction et que je fusse délivrée de tous mes chagrins.

Il y avait là des cardinaux qui me regardaient, tout comme s’ils étaient à la sortie de l’Opéra de Nice.