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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Ce qu’il y a d’affreux chez moi, c’est que les humiliations passées ne glissent pas sur mon cœur, mais laissent leur trace hideuse !

Jamais vous ne comprendrez ma situation ; jamais vous ne vous rendrez compte de mon existence. Vous rirez… riez, riez ! Mais peut-être se trouvera-t-il quelqu’un qui pleurera, Dieu, ayez pitié de moi, entendez ma voix ; je vous jure que je crois en vous.

Une vie comme ma vie, avec un caractère comme mon caractère !!!

Je n’ai même pas les amusements de mon âge ! Je n’ai même pas ce que chaque Américaine aux jupes retroussées a ; je ne danse même pas !…


Mercredi 29 décembre. — Mon Dieu, si vous me faites vivre comme j’aime, je vous promets, mon Dieu, si vous me prenez en pitié, je vous promets d’aller depuis Kharkoff jusqu’à Kieff à pied, comme les pèlerins. Si en outre vous satisfaites mon ambition et si vous me rendez tout à fait heureuse, je vous promets d’aller à Jérusalem et de faire le dixième du chemin à pied.

N’est-ce pas un péché de faire ce que je fais ? Des saints ont fait des vœux, oui, mais j’ai l’air de faire des conditions. Non, Dieu voit que mon intention est bonne, et, si je fais mal, il me pardonnera, car je désire bien faire.

Mon Dieu, pardonnez-moi et prenez-moi en pitié, faites que j’accomplisse mes promesses !

Sainte Marie, c’est peut-être bête, mais il me semble que, comme femme, vous êtes plus clémente, plus indulgente, prenez-moi sous votre protection, et je jure de consacrer un dixième de mon revenu à toutes sortes de bonnes œuvres… Si je fais mal, c’est sans le vouloir. Pardon !