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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

au delà ou en dedans de ce que je dis, tant pis ! On ne verra rien, car il n’y a rien.


Samedi 9 octobre. — Si j’étais née princesse de Bourbon comme Madame de Longueville, si j’avais pour serviteurs des comtes ; pour parents et amis, des rois ; si, dès les premiers pas dans la vie, je n’avais rencontré que des têtes baissées, que des courtisans empressés, si je n’avais blasons, et dormi que sous des dais royaux, si j’avais toute une suite d’aïeux, les uns plus glorieux, plus fiers que les autres ; si j’avais tout cela, il me semble que je ne serais ni plus fière, ni plus arrogante que je ne suis.

Ô mon Dieu, combien je vous bénis ! Ces idées qui me viennent de vous, me retiendront dans le droit chemin et ne me feront pas un instant quitter des yeux l’étoile lumineuse vers laquelle je marche ?

Je crois qu’en ce moment je ne marche pas du tout. Mais je marcherai, et pour si peu on ne dérange pas une aussi belle phrase…

Ah ! je suis lasse de mon obscurité ! Je dessèche d’inaction, je moisis dans les ténèbres. Le soleil, le soleil, le soleil !…

De quel côté me viendra-t-il ? Quand ? où ? comment ? Je ne veux rien savoir, pourvu qu’il vienne !

Dans mes moments de folie de grandeur, tous les objets me semblent indignes d’être touchés, ma plume se refuse à écrire le nom de tous les jours. Je regarde avec un dédain surnaturel tout ce qui m’entoure et puis je me dis, en soupirant : Allons, du courage, ce temps n’est qu’un passage qui me conduit où je serai bien.