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JOURNAL

êtres supérieurs, il me faut tout le monde, il me faut de l’éclat, du bruit.

Quand je pense que… Revenons au mot éternellement ennuyeux et nécessaire… Attendons !… Ah ! si l’on savait combien il me coûte d’attendre ! Mais j’aime la vie, j’aime les ennuis comme les joies. J’aime Dieu et j’aime son monde avec toutes ses vilenies, et malgré toutes ses vilenies, et peut-être même à cause de toutes ses vilenies.

Il fait très bon encore, l’air est doux, la lune est claire, les arbres sont noirs, Nice est belle ; je ne préférerais pas la plus belle vue du monde à celle que j’ai de ma fenêtre. Il fait beau, mais il fait triste, triste, triste.

Je lirai encore un peu, puis j’irai continuer mon roman cérébral.

Pourquoi ne peut-on jamais parler sans exagérer ? Mes réflexions noires seraient justes, si elles étaient un peu plus calmes ; leur forme violente leur ôte de leur naturel.

Il y a de froides âmes, il y a de belles actions et il y a des cœurs honnêtes, mais par élans et si rarement qu’on ne peut les confondre avec tout le monde.

On dira peut-être que j’ai ces idées parce que je suis contrariée par quelque chose ; mais non, j’ai mes contrariétés habituelles et rien de particulier. Ne cherchez pas autre chose que ce qu’il y a dans ce journal, je suis scrupuleuse et ne passe jamais sous silence ni une pensée ni un doute. Je me reproduis aussi fidèlement que me le permet mon pauvre esprit. Et si on ne me croit pas, si on cherche à voir