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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

le voyais passer quelquefois et je revenais folle à la maison. Je me jetais dans les bras de Colignon, je cachais ma figure sur sa poitrine, elle me laissait faire et puis doucement me faisait lever et me conduisait à la leçon, tout étourdie encore, ivre de bonheur !

Oh ! que je comprends bien cette expression ivre de bonheur, car je l’étais. Je ne le regardais pas comme un semblable, je n’ai jamais, sérieusement pensé à le connaître. Le voir… le voir encore… et voilà tout ce que je demandais !… Je l’aime encore et je l’aimerai toujours !…

Qu’il est bon de parler de lui !… Comme ce souvenir est pur !… En y pensant, je sors de cette fange niçoise, je m’élève, je l’aime.

Quand je pense à cela, je ne puis beaucoup écrire, je pense, j’aime et c’est tout.

Les désordres dans la maison sont un grand chagrin pour moi ; les détails du service, les chambres sans meubles, cet air de dévastation, de misère me fendent le cœur ! Mon Dieu, prenez-moi en pitié et aidez-moi à arranger cela. Je suis seule. Pour ma tante, tout lui est égal : que la maison croule, que le jardin dessèche… Je ne parle même pas des détails… Et moi, ces détails mal soignés m’énervent, me gâtent le caractère. Quand tout est beau, confortable et riche autour de moi, je suis bonne, gaie, et bien. Mais la désolation et le vide me font désolée et vide de tout, L’hirondelle s’arrange son nid, le lion sa fosse, comment l’homme, si supérieur aux animaux, ne veut-il rien faire ?

Si je dis : si supérieur, ça ne veut pas dire que je