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JOURNAL

quille et je regarde tout cela comme si cela concernait une autre que moi.


Vendredi 1er octobre. — Dieu ne fait pas ce que je le prie de faire, je me résigne (pas du tout, j’attends). Oh ! que c’est ennuyeux d’attendre et de ne pouvoir rien faire qu’attendre ! Tout cela abîme la femme : les contrariétés, les résistances des choses d’alentour.

« Si l’homme après sa naissance et dans ses premiers mouvements n’éprouvait pas de résistance dans le contact des choses d’alentour, il arriverait à ne pas se distinguer d’avec le monde extérieur, à croire que ce monde fait partie de lui-même, de son corps ; à mesure qu’il y atteindrait de son geste ou de son pas, il arriverait à se persuader que le tout n’est qu’une dépendance et une extension de son être personnel, il dirait avec confiance : L’Univers, c’est moi. »

Vous avez bien raison de dire que c’est trop bien fait pour être de moi, aussi ne chercherai-je pas à vous le faire accroire. C’est un philosophe qui l’a dit et je le répète. Eh bien, c’est comme cela que j’avais rêvé de vivre, mais le contact des choses d’alentour m’a fait des bleus, ce dont je suis excessivement fâchée.

Toutes les personnes qui me plaisaient, j’ai osé les comparer avec le duc. C’est étrange, eh bien, à toutes les occasions il me revient tout entier et j’en remercie Dieu, car il est ma lumière. Oh ! quelle différence ! comme je me souviens !… Tout mon bonheur consistait à l’apercevoir, je restais sur la terrasse, je