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JOURNAL

que de ruines ! O faquin de roi, oh ! si j’étais reine !…

J’adore la peinture, la sculpture, l’art enfin partout où il se trouve. Je pourrais passer des journées entières dans ces galeries ; mais ma tante est souffrante, elle a peine à me suivre, et je me sacrifie. D’ailleurs, la vie est devant moi, j’aurai le temps de revoir.

Au Palazzo Pitti, je ne trouve pas un costume à copier, mais quelle beauté, quelle peinture !…

Faut-il le dire ? c’est que je n’ose pas… On criera : Haro ! haro ! — Allons, en confidence !. Eh bien, la « Vierge à la chaise » de Raphaël ne me plaît pas. La figure de la Vierge est pâle, le teint n’est pas naturel, l'expression est plutôt d’une femme de chambre que de la sainte Vierge, mère de Jésus… Oh ! mais, il y a une « Madeleine » du Titien qui m’a ravie. Seulement — il y a toujours un seulement — elle a des poignets trop gros et des mains trop grasses : de belles mains d’une femme de cinquante ans. II y a des choses de Rubens, de Van Dyck, ravissantes. Le « Mensonge » par Salvator Rosa est très naturel, très bien. Je ne juge pas en connaisseur ; ce qui ressemble le plus à la nature me plaît le plus. La peinture n’a-t-elle pas pour but d’imiter la nature ?

J’aime beaucoup la grasse et fraîche figure de la femme de Paolo Véronèse, peinte par lui. J’aime le genre de ses figures. J’adore Titien, Van Dyck ; mais ce pauvre Raphaël !… Pourvu que personne ne sache ce que j’écris ! on me prendrait pour une bête. Je ne critique pas Raphaël, je ne le comprends pas ; avec le temps, sans doute je comprendrai ses beautés. Cepen-