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JOURNAL

bien. O Nice, je ne pensais jamais la revoir avec de tels transports ! et si on m’avait entendue jurer et la maudire depuis Marseille, on dirait que je la déteste. C’est mon habitude de mal parler des gens et des choses que j’aime.

Je marche silencieuse et blanche comme une ombre, en recueillant mes souvenirs épars par toute la Promenade. Nice, pour moi, c’est la Promenade des Anglais. Chaque maison, chaque arbre, chaque poteau de télégraphe est un souvenir bon ou mauvais, amoureux ou commun. Il me semble que je reviens de Spa, d’Ostende, de Londres. Tout est pareil. Il y a même cette odeur de bois qui est particulière aux meubles neufs.

Je monte chez moi, je fais une délicieuse coiffure Empire et mets ma robe blanche. La robe du portrait. C’est une grande robe comme les statues, avec les manches que je retrousse au-dessus du coude, décolletée devant rondement, un peu derrière, de façon à laisser voir la naissance du cou, avec une large valenciennes retombante. Le vêtement flottant et serré à la taille par un ruban et sous la poitrine aussi par deux rubans cousus et noués devant par un simple nœud. Pas de gants, pas de bijoux. Je suis enchantée de moi. Sous cette laine blanche, mes bras blancs, oh ! mais blancs !… je suis jolie, je suis animée. Oh ! suis-je vraiment à Nice ?


Dimanche 12 septembre. — Le soir à Florence. La ville me paraît médiocre, mais l’animation est grande. À tous les coins de rue on vend les melons d’eau par monceaux. Ces melons d’eau si rouges et si frais me