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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Je regarde tout cela comme autant de divertissement et j’aime la vie malgré tout. Je veux vivre. Ce serai cruel de me faire mourir quand je suis si accommodante. Je pleure, je me plains, et en même temps cela me plaît ; non, pas cela… Je ne sais comment dire… Enfin tout dans la vie me plaît, je trouve tout agréable. Et tout en demandant le bonheur, je me trouve heureuse d’être misérable. Ce n’est plus moi qui me trouve ainsi ; mon corps pleure et crie ; mais quelque chose dans moi, qui est au-dessus de moi, se réjouit de tout. Ce n’est pas que je préfère les larmes à la joie, mais, loin de maudire la vie dans les moments désespérés, je la bénis et me dis : Je suis malheureuse, je me plains, mais je trouve la vie si belle que tout me paraît beau et heureux et que je veux vivre ! Apparemment ce quelqu’un qui est au-dessus de moi et qui se réjouissait de tant pleurer est sorti ce soir, car je me sens bien malheureuse !

Je n’ai encore fait de mal à personne, et on m’a déjà offensée, calomniée, humiliée ! Comment puis-je aimer les hommes ! je les déteste, mais Dieu ne permet pas la haine. Mais Dieu m’abandonne, mais Dieu m’éprouve. Eh bien, s’il m’éprouve, il doit cesser l’épreuve. Il voit comment je prends la chose ; il voit que je ne cache pas ma douleur sous une lâche hypocrisie, comme ce coquin de Job, qui, en minaudant devant Notre-Seigneur, en a fait sa dupe.

Une chose me chagrine par-dessus tout, c’est, non pas la chute de tous mes plans, mais le regret que me