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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

sait ? Allons, voilà que je deviens mélancolique… Non ; je ne veux pas de mélancolie…


Dimanche 6 septembre. — Au Bois, il y a tant de Niçois qu’un moment il m’a semblé être à Nice. Nice est si beau en septembre ! Je me souviens de l’année dernière, mes promenades matinales avec mes chiens, ce ciel si pur, cette mer argentée. Ici, il n’y a ni matin, ni soir. Le matin, on balaye ; le soir, ces innombrables lanternes m’agacent. Je me perds ici, je ne sais distinguer le levant du couchant. Tandis que là-bas on est si bien ! On est comme dans un nid, entouré par ces montagnes, ni trop hautes ni trop arides. On est de trois côtés protégé comme par un manteau gracieux et commode et, devant soi, on a une fenêtre immense, un horizon infini, toujours le même et toujours nouveau. J’aime Nice ; Nice, c’est ma patrie ; Nice m’a fait grandir, Nice m’a donné la santé, les fraîches couleurs. C’est si beau ! On se lève avec le jour et on voit paraître le soleil, la-bas, à gauche, derrière les montagnes qui se détachent en vigueur sur le ciel bleu argent, si vaporeux et doux qu’on étouffe de joie. Vers midi, il est en face de moi ; il fait chaud, mais l’air n’est pas chaud, il y a cette incomparable brise qui rafraîchit toujours. Tout semble endormi. Il n’y a pas une âme sur la Promenade, sauf deux ou trois Niçois assoupis sur les bancs. Alors je respire, j’admire. Le soir, encore le ciel, la mer, les montagnes. Mais le soir, c’est tout noir ou gros bleu. Et quand la lune luit, ce chemin immense dans la mer, qui semble être un poisson aux écailles de diamant, et quand je suis à ma fenêtre avec une glace devant et deux bougies, tranquille, seule, je ne demande rien et je me prosterne devant Dieu ! Oh ! non, on ne comprendra pas ce que je