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JOURNAL

l’air d’un de ces portraits du premier Empire ; pour compléter le tableau, il me faudrait être sous un arbre et tenir un livre à la main. J’aime la solitude devant une glace pour admirer mes mains si blanches, si fines, et à peine roses à l’intérieur.

C’est peut-être bête de se louer tellement ; mais les gens qui écrivent décrivent toujours leur héroïne, et je suis mon héroïne à moi. Et il serait ridicule de m’humilier et m’abaisser par une fausse modestie. On s’abaisse en parole quand on est sûr d’être relevée ; mais en écrit, chacun pensera que je dis vrai, et on me croira laide et bête ; ce serait absurde !

Heureusement ou malheureusement, je m’estime un tel trésor que personne n’en est digne, et ceux qui osent lever les yeux sur ce trésor, sont regardés par moi comme à peine dignes de pitié. Je m’estime une divinité et ne conçois pas qu’un homme comme G… puisse avoir l’idée de me plaire. À peine pourrais-je traiter d’égal un roi. Je crois que c’est très bien. Je regarde les hommes d’une telle hauteur, que je suis charmante pour eux, car il ne sied pas de mépriser ceux qui sont si bas. Je les regarde comme un lièvre regarderait une souris.


Jeudi 29 juillet. — Nous devions partir aujourd’hui, j’ai subi tous les ennuis qui accompagnent un départ. On se fâche, on court, on oublie, on se rappelle, on crie ; je suis toute déferrée, et voilà qu’on parle de rester jusqu’à samedi.

Mon oncle Étienne voudrait remettre. Il n’a le courage de rien. C’est un caractère !

Il devait quitter la Russie au commencement d’avril et n’est parti qu’en juillet. C’est impatientant, nous restons. En voyant que je suis contrariée et que je dis