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JOURNAL

ni mensonge, est toujours chose grande et intéressante.


Vendredi 16 juillet. — En raison des transmigrations de l’amour, tout ce que je contiens en ce moment est concentré sur Victor, un de mes chiens. Je déjeune, et lui en face de moi, sa bonne grosse tête sur la table. Aimons les chiens, n’aimons que les chiens ! Les hommes et les chats sont des êtres indignes. Et pourtant, c’est sale un chien, cela vous regarde manger avec des yeux avides, cela s’attache pour le manger. Cependant, je ne nourris jamais mes chiens, et ils m’aiment. Et Prater qui m’a abandonnée par jalousie pour Victor et a passé à maman !… Et les hommes, est-ce que ça ne demande pas à être nourri, est-ce que ce n’est pas vorace et mercenaire ?

J’évite ma fatalité, je n’irai pas en Russie, ne voulant pour rien au monde manquer le centenaire de Michel-Ange. La Russie sera aussi bien l’année prochaine, mais pour le centenaire il faudra vivre encore cent ans, lequel espoir je n’ai pas… Et puis, si je ne vais pas en Russie, c’est que Dieu le veut ainsi. Tout ce qui se fait se fait pour le mieux, dit un proverbe russe. On n’évite pas sa destinée, dit encore un autre proverbe.

Je vais encore dire à la lune : « Lune, ô belle lune, fais-moi voir en dormant celui que j’épouserai de mon vivant. »


Samedi 17 juillet. — On dit qu’en Russie, il y a un tas de faquins qui veulent la Commune, c’est une horreur. Tout diviser et avoir tout en commun. Et leur maudite secte est si répandue que les journaux font des appels désespérés à la société. Est-ce que les pères de famille ne mettront pas un terme à cette infection ? Ils