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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

reil amour est introuvable. Aussi n’aimerai-je jamais, car personne ne m’aimera comme je sais aimer.


14 juillet. — On a parlé du latin, du lycée, des examens ; cela me donne une furieuse envie d’étudier, et quand Brunet vient, je ne le fais pas attendre, je lui demande des renseignements sur les examens. Il m’en donne de tels, qu’après un an de préparation, je me sens capable de me présenter pour le baccalauréat ès sciences. Nous en parlerons.

Je travaille le latin depuis février de cette année, nous sommes en juillet. En cinq mois, j’ai fait, au dire de Brunet, ce qu’on fait au lycée en trois ans. C’est prodigieux ! Jamais je ne me pardonnerai d’avoir perdu cette année, ce sera un chagrin immense, je ne l’oublierai jamais !…


15 juillet. — Hier au soir, j’ai dit à la lune, après avoir quitté les Sapogenikoff : « Lune, ô belle lune, fais-moi voir celui que j’épouserai de mon vivant. »

Après, il ne faut plus prononcer une parole, et l’on dit que l’on voit en rêve celui qu’on épousera.

Ce sont des bêtises. J’ai vu S. et A., deux impossibilités !

Je suis de mauvaise humeur, je manque tout, rien ne me réussit. Je serai punie pour mon orgueil et mon arrogance stupide. Lisez cela, bonnes gens, et apprenez ! Ce journal est le plus utile et le plus instructif de tous les écrits qui ont été, sont ou seront. C’est une femme avec toutes ses pensées et ses espérances, déceptions, vilenies, beautés, chagrins, joies. Je ne suis pas encore une femme entière, mais je le serai. On pourra me suivre de l’enfance jusqu’à la mort. Car la vie d’une personne, une vie entière, sans aucun déguisement