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JOURNAL

des ressemblances, je n’en finirai pas. Les idées se poussent, se confondent, et finissent par s’évaporer.

Ce n’est que maintenant que, regardant maman comme une étrangère, je découvre qu’elle est ravissante, belle comme le jour, bien que fatiguée par toutes sortes d’ennuis et de maladies. Lorsqu’elle parle, elle a la voix si douce, sans être flûtée, mais mâle et douce ; des manières jolies, bien que naturelles et simples.

Je n’ai pas vu, dans ma vie, une personne moins pensant à elle que ma mère. Elle est la nature toute naturelle ; et si elle pensait un peu à sa toilette tout le monde l’admirerait. On a beau dire, la toilette fait beaucoup. Elle s’habille de débris, de je ne sais pas quoi. Aujourd’hui elle a une jolie toilette et, ma parole d’honneur, elle est adorable !


Samedi 29 novembre. — Je ne suis pas un moment tranquille, je voudrais me cacher, loin, loin ! où il n’y a personne. Je reviendrais à moi peut-être.

Je sens la jalousie, l’amour, l’envie, la déception, l’amour-propre blessé, tout ce qu’il y a de hideux dans ce monde !… Par-dessus tout je sens sa perte ! je l’aime ! Que ne puis-je retirer tout ce que j’ai dans mon âme ! mais, si je ne sais pas ce qui s’y passe, je sais seulement que je suis très tourmentée, que quelque chose me ronge, m’étouffe, et tout ce que je dis, ne redit pas la centième partie de ce que je sens.

La figure couverte d’une main, tandis que de l’autre je tiens le manteau qui m’enveloppe tout entière, même la tête, pour être dans l’obscurité, pour rassembler mes