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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Jamais un homme au-dessous de ma position ne pourra me plaire, tous les gens communs me dégoûtent, m’énervent. Un homme pauvre perd la moitié de soi-même ; il semble petit, misérable et a l’air d’un pion. Tandis qu’un homme riche, indépendant, porte avec lui l’orgueil et a un certain air confortable. L’assurance a un certain air victorieux. Et j’aime en H… cet air sûr, capricieux, fat et cruel ; il a du Néron.


Samedi 8 novembre. — Il ne faut jamais se laisser trop voir, même à ceux qui nous aiment. Il faut s’en aller au beau milieu et laisser des regrets, des illusions. On paraîtra mieux, on semblera plus beau. On regrette toujours ce qui est passé ; on aura le désir de vous revoir, mais ne contentez pas ce désir immédiatement ; faites souffrir : pas trop cependant. La chose qui coûte trop de peines perd, après tant de difficultés. On s’attendait à mieux. Ou bien faites trop souffrir, plus que trop… alors vous êtes reine.

Je crois que j’ai la fièvre, je suis très bavarde, surtout lorsque je pleure intérieurement. Personne ne s’en douterait. Je chante, je ris, je plaisante, et plus je suis malheureuse, plus je suis gaie. Aujourd’hui je ne suis pas capable de remuer la langue, je n’ai presque rien mangé.

Tout ce que j’écrirai ne dira jamais ce que je sens. Je suis bête, folle, offensée superbement. Il me semble qu’on me vole en me prenant le duc, mais, vraiment c’est comme si on me prenait mon bien. Quel état désagréable ! je ne sais comment m’exprimer, tout me semble trop faible ; pour un rien j’emploie les expressions les plus fortes et, lorsque je veux parler sérieusement, je me trouve à sec ; c’est comme… Non, assez ! Si je continue à tirer des conclusions, des exemples et