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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

je voudrais dire. Je ne peux cependant écrire ce que je sens ! Je suis comme ces peintres malheureux qui inventent un tableau au-dessus de leurs forces.

Je l’aime et je l’ai perdu, voilà tout ce que je peux dire, et cela dit plus que tout au monde !

Après dîner, j’ai chanté et enchanté toute l’orageuse famille !…


Samedi 25 octobre. — Hier soir, on frappe à ma porte et on vient me dire que maman est très malade ; je descends tout endormie et je trouve, dans la salle à manger, maman assise, dans un état affreux ; autour, tout le monde avec des faces troublées. Je vois qu’elle est bien mal. Elle veut me voir, dit-elle, avant de mourir. Je suis saisie d’horreur ; mais je ne le fais pas paraître. C’est une attaque de nerfs terrible, jamais ce n’a été aussi fort. Tout le monde est au désespoir. On envoie chercher les docteurs Reberg et Macari. On a expédié des domestiques de tous côtés pour chercher des remèdes. Jamais je ne pourrai donner une idée de cette horrible nuit. Je suis restée tout le temps dans un fauteuil près de la fenêtre ; il y avait assez de monde pour faire ce qu’il fallait, d’ailleurs je ne sais pas soigner. Jamais je n’ai tant souffert ! Si ! le 13 octobre, j’ai souffert, mais d’une autre manière.

Un moment, maman s’est trouvée très mal, je ne pouvais me contenir et ma première pensée a été de prier. Les médecins allaient et venaient continuellement. Enfin, on parvint à coucher maman dans sa chambre, et nous étions tous autour du lit. Mais elle ne va pas mieux… Le souvenir de cette nuit me fait frémir. Les médecins disent que ces attaques sont dangereuses ; mais, grâce à Dieu, cette fois, le danger est passé. Nous sommes plus tranquilles tous, et nous res-