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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Oh ! c’est le plus cruel sentiment du monde, c’est la fin de tout.

Amen !


Samedi 18 octobre. — J’ai fait ma prière, j’ai omis la prière pour lui et pour tout enfin. J’ai senti comme si on m’arrachait le cœur, comme si je voyais emporter le cercueil d’un mort bien-aimé. Tant qu’il était encore là, ce cercueil, on est malheureux, mais pas encore autant que lorsqu’on sent le vide partout.

Je m’aperçois que lui était l’âme de ma prière qui est à présent calme, froide, raisonnable, tandis qu’avant elle était vive et passionnée et brûlante !  ! Il est mort pour moi et on a emporté le cercueil ! C’était une douleur mouillée et c’est une douleur sèche ; que sa volonté soit faite ! J’avais l’habitude de lui envoyer des signes de croix de tous les côtés, ne sachant où il est ; je ne l’ai pas fait aujourd’hui et mon cœur bat.

Je suis une étrange créature, personne ne souffre comme moi, et pourtant je vis, je chante, j’écris. Comme je suis changée depuis le 13 octobre, jour fatal ! La souffrance est constamment sur ma figure. Son nom n’est plus une chaleur bienfaisante ; mais c’est du feu, c’est un reproche, un réveil de jalousie, de tristesse. C’est le plus grand malheur qui puisse arriver à une femme, je sais ce que c’est !… triste moquerie !

Je commence à penser sérieusement à ma voix, je voudrais si bien chanter ! À quoi bon, maintenant ?

Il était dans mon âme comme une lampe, et cette lampe s’est éteinte. Il fait noir, sombre, triste, on ne sait pas de quel côté marcher. Avant, dans mes petits ennuis, je trouvais toujours un point d’appui, une lumière qui mę guidait et me donnait de la force dans