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JOURNAL


Non, non, toi qui trempais aux sources de la Vie
Ta lèvre impatiente avec tant de candeur,
Le néant ne t’a pas aveuglément ravie
À ce monde, qui fut le souci de ton cœur.

Tu promenais partout ta hautaine espérance
Dans un rêve brûlant de gloire et d’action,
Et tour à tour Paris, Naples, Rome et Florence
Chauffaient à leur foyer ta jeune ambition.

Le rude froissement des passions humaines
Te meurtrissait le cœur jusqu’à l’ensanglanter,
Tu n’en sentais pas moins bouillonner dans tes veines
Un désir obstiné de vivre et de lutter.

Un jour tu t’arrêtas, non pas craintive ou lasse,
Mais afin d’incarner dans la réalité,
Par delà ce qui meurt, par delà ce qui passe,
Tes beaux rêves d’art pur et de sincérité.

Et tu créas ton œuvre, — humaine, simple et vraie,
Ayant ce naturel qui seul peut nous toucher,
Belle de la beauté des roses de la haie
Et de la source vive au sortir du rocher.

Le monde saluait déjà ta jeune étoile,
Et, tandis que ta gloire et ton nom célébrés
Montaient, l’Ange de mort t’emporta sous son voile
Dans le linceul soyeux de tes cheveux dorés.

Ta forme a disparu, mais ton âme d’artiste,
Tes tableaux imprégnés de la splendeur du Beau,