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JOURNAL

il y a des ouvriers, des maçons, il m’a semblé des experts ; elle est partie… où ? Je suppose en Russie, pour faire fortune.

Je pense tout le temps : Il se marie ! est-ce possible ? Je suis malheureuse ! pas malheureuse comme autrefois pour le papier d’une chambre et le meuble de l’autre ; mais réellement malheureuse !

Je ne sais pas comment dire à la princesse qu’il se marie (car ils le sauront un jour) et il vaut mieux que je le dise moi-même.

Je choisis un moment où elle s’assied sur un canapé, la lumière derrière moi. On ne voit pas ma figure. « Savez-vous une nouvelle, princesse ? (nous parlons russe,) le duc de H… se marie. » Enfin ! j’ai dit… Je n’ai pas rougi, je suis calme, mais ce qui s’est fait en moi, dans mon fond !!!

Depuis le moment malheureux où cette péronnelle m’a dit cette horreur, je continue à être essoufflée comme si j’avais couru une heure, et le même sentiment, le cœur me fait mal et bat.

J’ai joué du piano avec furie, mais, au milieu de la fougue, mes doigts faiblissent et je m’adosse à la chaise. Je reprends, — même histoire, — et cinq minutes au moins, j’ai commencé et cessé. Il se forme dans mon gosier quelque chose qui empêche la respiration. Dix fois je saute du piano au balcon. Mon Dieu ! Ô quel état !…

Nous allons nous promener, mais Nice n’est plus Nice, G… non plus ! La vue de sa villa ne me faisait plus rien. Tout cela s’attache au duc, et c’est pour cela que mon cœur se déchire à la vue de ces deux maisons