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JOURNAL

j’ai quinze ans ; c’est un mensonge. Il s’excuse en prétendant que par mon raisonnement j’ai vingt ans, qu’il a cru bien faire en disant deux ans de plus, qu’il ne croyait pas, etc. ; etc. J’ai exigé aujourd’hui même, au dîner, que cet homme dise au censeur l’âge que j’ai, je l’ai exigé.


Vendredi 19 septembre. — Je conserve partout ma bonne humeur ; il ne faut pas s’attrister par des regrets. La vie est si courte, il faut rire autant qu’on peut. Les pleurs viennent eux-mèmes, on peut les éviter. Il y a des chagrins qu’on ne peut fuir ; c’est la mort et la séparation, et même cette dernière est aimable, tant qu’on espère. Mais pour se gâter la vie avec les petites misères, fi donc ! Je ne fais aucun cas des petites bagatelles ; comme j’ai horreur des petits ennuis de chaque jour, je les passe en riant.


Samedi 20 septembre. — Scalkiopoff est venu, et, je ne sais plus à propos de quoi, a dit que les hommes sont des singes dégénérés. C’est un petit avec des idées de l’oncle Nicolas. « Alors, lui dis-je, vous ne croyez pas en Dieu ? » Lui : « Je ne puis croire qu’à ce que je comprends. »

Ô la vilaine bête ! tous ces garçons qui commencent à avoir de la moustache pensent comme cela. Ce sont de petits blancs-becs qui pensent que les femmes ne peuvent pas raisonner et comprendre. Ils les regardent comme des poupées qui parlent sans savoir ce qu’elles disent. Ils les laissent dire d’un air protecteur… Je lui ai dit tout cela, à l’exception de vilaine bête et blanc-bec. Il a sans doute lu quelque livre qu’il n’a pas compris et dont il récite des passages. Il prouve que Dieu ne pouvait créer, car, dans les pôles, on a trouvé