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JOURNAL

aller, avoir ou n’avoir pas, m’est égal ; mes chagrins, mes joies, mes peines n’existent pas. Si je m’imagine seulement ma mère ou H… alors l’amour entre dans moi. Et encore ce dernier, non ; cela me paraît tellement incroyable que je n’y pense que dans les nuages ; je ne comprends rien.

Il y a des gens qui disent qu’un mari et une femme peuvent se permettre des distractions et s’aimer beaucoup.

C’est un mensonge ; on ne s’aime pas, car lorsqu’un jeune homme et une jeune fille sont amoureux l’un de l’autre, est-ce qu’ils peuvent penser aux autres ? Ils s’aiment et trouvent bien assez de distractions l’un dans l’autre.

Une seule pensée, un seul regard pour une autre femme prouvent qu’on n’aime plus celle que l’on a aimée. Car, encore une fois, lorsque vous êtes amoureux d’une femme, pouvez-vous penser à en aimer une autre ? Non. Eh bien, à quoi servent la jalousie et les reproches ? On pleure un peu et l’on doit se consoler, comme de la mort, en se disant que rien ne peut y remédier. Le cœur plein d’une femme, il n’y a pas de place pour une autre ; mais dès qu’il commence à se vider, une autre y entre tout entière, dès qu’elle y a mis un petit doigt.

(Écrit en marge à la date de Mars 1875 :)

J’ai raisonné alors avec assez de justesse, seulement on voit que j’étais une enfant. Ces mots « amour » employés si souvent !… Pauvre moi ! Il y a des fautes de