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JOURNAL

J’ai encore arrangé ma chambre, elle est plus jolie sans la table au milieu : j’ai mis plusieurs bagatelles, un encrier, une plume, deux vieux chandeliers de voyage, qui étaient depuis longtemps dans la boîte aux oublis.

Le monde, c’est ma vie ; il m’appelle, il m’attend, je voudrais courir vers lui. Je n’ai pas l’âge encore d’aller dans le monde. Mais il me tarde d’y être, pas, par le mariage, mais je voudrais que maman et ma tante secouassent leur paresse. — Pas le monde de Nice, mais de Pétersbourg, de Londres, de Paris ; c’est là où je pourrai facilement respirer, car les gênes du monde sont mes aises.

Paul n’a pas encore de goût, il ne comprend pas la beauté des femmes. Je lui ai entendu dire : Belles, de telles laideronnes ! Il faut que je lui donne des manières et des goûts. Je n’ai pas encore beaucoup d’influence sur lui, mais avec le temps j’espère… Maintenant, d’une façon à peine visible, je lui communique ma manière de voir, je lui donne des sentiments de la plus sévère moralité, sous une forme frivole ; cela amuse, et c’est bien. S’il se marie, il doit aimer sa femme, rien que sa femme. Enfin j’espère, si Dieu le permet, lui donner de bonnes idées.


Mardi 29 juillet. — Nous voilà parties pour Vienne ; le départ a été fort gai, en somme. J’étais, comme toujours, l’âme de la partie.

Depuis Milan le pays est adorable, si vert, si plat, qu’on peut étendre le regard jusqu’à l’infini, sans qu’on craigne qu’une montagne se mette comme un mur devant les yeux.

À la frontière autrichienne, comme je m’habillais à la hâte, on a ouvert la portière et le médecin nous a par-