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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

mise à la fenêtre pour mieux écouter. C’était un trio charmant. Il y a longtemps que je n’ai écouté de la musique avec tant de plaisir. Dans un concert, on est plus occupé à examiner le public qu’à écouter, mais ce soir, toute seule, au clair de la lune, j’ai dévoré, si je peux parler ainsi, cette sérénade, car c’en était une. Les jeunes gens Niçois nous ont joué une sérénade. On ne peut être plus galant. Malheureusement les jeunes gens à la mode ne veulent plus de ces amusements, ils préfèrent passer leur temps dans les cafés chantants ; tandis que la musique… Qu’y a-t-il au monde de plus noble que de chanter une sérénade comme dans l’ancienne Espagne ? Ma parole, après les chevaux, je passerais ma vie sous la fenêtre de ma belle et finalement à ses pieds.

Je voudrais tellement avoir un cheval ! maman me le promet, ma tante aussi. Le soir dans sa chambre, je suis venue de ma manière légère, pleine d’enthousiasme, je le lui ai demandé, elle m’a sérieusement promis. Je me couche tout heureuse. Tout le monde me dit que je suis jolie ; sur ma foi, devant moi-même je ne crois pas. Ma plume ne veut pas l’écrire. Je suis gentille seulement, parfois jolie, je suis heureuse !…

J’aurai un cheval ! A-t-on jamais vu une petite comme moi avec un cheval de course ? Je ferai fureur… Quelle couleur de jockey ? Gris et iris ? non, vert et rose tendre. Pour moi, un cheval ! Que je suis heureuse ! quelle créature je suis ! Comment ne pas verser de ma coupe trop pleine à des pauvres qui n’ont rien ?… Maman me donne de l’argent, j’en donnerai la moitié aux pauvres.