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JOURNAL

J’allais dire qu’il fait un clair de lune enchanteur et que dans le grand Paris je n’aurai plus ce calme, cette poésie, ces jouissances divines de la Nature, du Ciel. Mardi 29 mai.

Plus j’avance vers la vieillesse de ma jeunesse, plus je me recouvre d’indifférence. Peu de chose m’agite et tout m’agitait ; de sorte qu’en relisant mon passé, j’accorde trop d’importance aux bagatelles en voyant comme ellesme faisaient bouillir le sang.

La confiance et cette susceptibilité de sentiments qui est comme le duvet du caractère ont été vite perdues. Je regrette d’autant plus cette fraîcheur de sensation qu’elle ne se retrouve jamais. On est plus, calme, mais on ne jouit plus autant. Les déceptions ne devraient pas m’arriver si vite. Si je n’en avais pas eu, je serais devenue quelque chose de surnaturel, je le sens. Je viens d’avaler unlivre quim’a dégoûtée de l’amour. Une charmante princesse amoureuse d’un peintre ! Fi ! Ce n’est pas pour dire une injure aux peintres par une bêtise affectée, mais…je ne sais, cela jure. J’ai toujours eu des idées aristocratiques et je crois aux races des hommes comme aux races des animaux. Souvent, c’està-dire toujours dansle commencement, les races nobles ne devenaient telles que par suite de l’éducation morale et physique, qui communique ses effets de père en fils. Qu’importe la cause ! J’ai feuilleté l’époque d’A…, c’est vraiment surprenant comme je raisonnais. Je suis émerveillée et remplie d’admiration. J’avais oublié tous ces raisonnements si justes, si vrais, j’étais assez inquiète qu’on ne crût à un amour (passé) pour le comte A… Dieu merci, on ne peut pas le Mercredi 30 mai.