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JOURNAL

La mer à peine argentée par un soleil caché sous des nuages d’un gris doux et chaud, la verdure éclatante… Que c’est beau et qu’il ferait bon de vivre dans ce paradis ! Je me mis à marcher dans la promenade sans me soucier de ma tête découverte et d’assez nombreux passants. Puis je rentrai mettre un chapeau et prendre ma tante et Bihovitz. J’allai jusqu’au pont du Midi et revins prise d’une tristesse incomparable. Eh bien, vraiment la famille a son charme. On a joué aux cartes, on a ri, on a pris du thé et je me suis sentie pénétrée d’aise au sein des miens, entourée de mes chers chiens, Victor avec sa grosse tête noire, blanc comme la neige, Bagatele, Prater… Tout cela me regardait dans les yeux, et en ce moment je vis les vieillards faisant leur partie, ces chiens, à manger… Oh ! cela m’oppresse, m’étouffe, je voudrais m’enfuir, il me semble qu’on m’enchaîne comme dans un cauchemar. Je ne puis pas !  !  ! Je ne suis pas faite pour cette vie, je ne puis Pincio

celte salle pas !

Un instant j’ai éprouvé quelque vanité à parler des choses sérieuses avec les vieillards… mais après tout, ce sont des vieillards obscurs ; que me font-ils ? J’ai une telle peur de rester à Nice que j’en deviens folle. Il me semble que cet hiver sera de nouveau perdu, et que je ne ferai rien. On m’ôte les moyens de travailler ! Le général Bihovitz m’a envoyé une grande corbeille de fleurs, et le soir maman l’arrosa pour conserver les fleurs… Eh bien, ces petits riens me mettent hors de moi, cette affectation de bourgeoisie me désespère ! Ah ! miséricorde divine ! Ah ! par le Dieu du ciel ! je vous assure que je ne plaisante pas ! Je suis rentrée du pavillon par un clair de lune