Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/366

Cette page n’a pas encore été corrigée
363
DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Enfin ! NICE. — Samedi 2 décembre. Ma tante m’apporta elle-même le café ; je fis déballer quelques malles, et je devins moi pour la première fois depuis mon voyage. En Russie le soleil me manquait ; à Paris, les robes. Je prie d’observer mon genre de vie. Emballer, déballer, essayer, acheter, voyager. Et c’est toujours ainsi !

En descendant au jardin, j’ai trouvé M. Pélican avec son docteur Broussais, Ivanoff, 1’oculiste de grand-papa, le général Wolf, le général Bihovitz et puis les.Anitchkoff. Il fallut se montrer et contenter mes mères qui ne se sentent pas d’aise de me voir engraisser. Voyez-vous ce bonheur ! Mais je les abandonne tous pour voir mes femmes de la rue de France. Voilà un’accueil !

On m’annonça les mariages, les morts, les naissances. Je

demandai comment va le commerce. Mal, me répondit-on.

Eh pardi, m’écriai-je, tout va mal depuis que la France est en République ! Et me voilà partie. Quand on apprit que j’avais vu la Chambre, on se recula avec un grand respect, puis on s’empressa autour de moi. Et alors, le poing sur la hanche, je leur fis un discours entremélé de jurons, d’exclamations niçoises, leur montrant les républicains avec leurs mains dans l’or du peuple : Comme mes mains dans ce riz ! — Et je plongeai ma patte dans un sac de riz…

Après une si longue absence, le ciel de Nice me transporte. Et je me sens bondir en respirant cet air pur, en regardant ce ciel transparent.