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JOURNAL

Nous sommes mélancolique ce soir ? dis-je doucement. Oui,

fit-il avec effort, vous avez joué et… je ne sais, j’ai la fièvre, je crois. Allez dormir, mon ami, je vais monter. Seulement aidez-moi à porter mes livres. Jeudi 9 novembre :

Mon séjour ici m’aura du moins servi à connaitre la littérature splendide de mon pays. Mais de quoi parlent ces poètes et ces écrivains ? De là-bas.

Et d’abord citons Gogol, notre étoile bumoristique. Sa description de Rome m’a fait et pleurer et gémir, et on ne peut en avoir une idée qu’en lisant. Demain ce sera traduit. Et ceux qui ont eu le bonheur de voir Rome comprendront mon émotion. Oh ! quand donc sortirai-je de ce pays gris, froid, sec, même en été, même au clair du soleil ? Les feuilles sont chétives et le ciel est moins bleu que… là-bas. J’ai lu jusqu’à ce moVendredi 10 novembre.

ment… je suis dégoûtée de mon journal, anxieuse, découragée…

Rome, je ne peux rien dire de plus. Je suis restée cinq minutes avec ma plume en l’air et je ne sais que dire, tant mon cœur est plein. Mais le temps approche et je vais revoir A… Revoir A… — me fait peur. Et pourtant je crois que je ne l’aime pas, j’en suis même sûre. Mais ce souvenir, mais mon chagrin, mais l’inquiétude sur l’avenir, la crainte d’un affront… A… ! Que ce mot revient souvent sous ma plume et qu’il m’est odieux ! Vous pensez que je veux mourir ! Fous que vous êtes ! J’adore la vie telle qu’elle est, et les chagrins,