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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Paul était à ma droite et Pacha à ma gauche : je lui fis passer les bras derrière moi, de façon à ce que ce bras, son corps et celui de Paul me fissent comme un fauteuil bien commode. Le froid m’épouvantait moins ; je n’avais que ma pelisse et une toque de loutre, cela rendait mes mouvements plus libres et mes paroles aussi. Le soir, je me mis au piano, je jouai la lecture de la lettre de Vénus, un adorable morceau qui se trouve dans la Belle Hélène. Mais la Belle Hèlène est une composition ravissante. Offenbach commençait et ne s’était pas encore encanaillé à force de faire des opérettés à deux sous. Je jouai fort longtemps… je ne sais plus quoi, quelque chose de lent et de passionné, de tendre et d’adorable comme les romances sans paroles de Mendelssohn, bien comprises, peuvent seules être. Je pris quatre tasses de thé en parlant de musique. Elle a une grande influence sur moi, dit l’homme vert, je me sens tout étrange, elle me produit un effet… sentimental… et en l’écoutant on dit ce gu’on n’oserait jamais dire autrement. C’est une traitresse, Pacha ; méfiez-vous de la musique, elle fait faire bien des choses qu’on ne ferait pas, la tète reposée. Elle vous empoigne, vous entortille, vous entrafne… et puis, c’est terrible. Je parlai de Rome et du somnambule Alexis. Pacha écoutait et soupirait dans son coin ; et quand il

approcha de la lumière l’express. me dit plus que toutes les paroles du monde ce que le pauvre garçon souffrait. (Remarquez cette vanité féroce, cette avidité de constater des ravages dont on est la cause. Je suis une vulgaire coquette ou bien.., non, —femme, voilà tout.) de sa

gure