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JOURNAL

ou grand malheur. Cette superstition me glace et quand on regarde par la fenétre on est encore plus glacé. Tout est blanc sous un ciel gris perle. Il y a longtemps que je n’ai vu un pareil tableau. Paul, avec cette avidité naturelle de la jeunesse, de montrer aux nouveaux du nouveau, fit atteler un petit traîneau et m’emmena promener tout triomphant. Ce trafneau est bien impertinent de s’appeler ainsi, c’est tout bonnement quelques misérables bûches clouées ensemble, remplies de foin et recouvertes d’un tapis. Le cheval, étant très près, nous lançait la neige au visage, dans les manches, dans mes pantoufles, dans les yeux. Cétte poussière glacée recouvrait les triples dentelles sur ma tête et s’amassant dans les plis, gelait.

— Vous m’avez dit de venir à l’étranger en même temps que vous, dit tout à coup l’homme vert. Oui, et pas par caprice ; vous me feriez une grâce en venant et vous ne voulez pas ! Vous ne faites rien pour moi, pour qui ferez-vous donc ? Eh ! vous savez bien pourquoi je ne peux pas venir.

— Non. Mais vous le savez… c’est parce qu’en partant avec vous je continuerais de vous voir et que cela me fait un mal affreux ! Et pourquoi ?

Parce que… je vous aime. — Mais en venant, vous me rendriez un tel service ! Moi, vous être utile ! Oui.

Non, je ne peux pas venir… je vous regarderai de loin… Et si vous saviez, reprit-il d’une voix douce etnavrante, si vous saviez ce que je souffre quelquefois…