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JOURNAL

« Comme elle est drôle, cette fillette, qu’est-ce qu’elle s’imagine ? » d’un air moqueur… Il avait raison alors, j’étais très drôle, avec mes petites robes de soie, j’étais ridicule ! Je ne le regardais pas. Puis enfin, toutes les fois que je le rencontrais, mon cœur donnait un coup si fort dans ma poitrine que cela me faisait mal. Je ne sais si quelqu’un a éprouvé cela ; mais j’ai peur que mon cœur batte si fort et qu’on l’entende ; autrefois je croyais que le cœur n’est qu’un morceau de chair ; mais je vois qu’il communique avec l’esprit.

Je comprends maintenant quand on dit : « Mon cœur a battu. » Avant, au théâtre, quand on le disait, j’y pensais sans attention ; maintenant je reconnais les émotions que j’ai éprouvées.

Le cœur est un morceau de chair qui communique par une petite ficelle avec le cerveau qui à son tour reçoit les nouvelles des yeux ou des oreilles, et tout cela fait que c’est le cœur qui vous parle, parce que la petite ficelle s’agite et le fait battre plus qu’à l’ordinaire, et fait monter le sang à la figure.

Le temps passe comme une flèche. Le matin, j’étudie un peu ; le piano à deux heures. L’Apollon du Belvédère que je vais copier a un peu de ressemblance avec le duc ; quand on le regarde surtout, l’expression, c’est très ressemblant. La même manière de porter la tête, et le nez comme le sien.

Mon professeur de musique Manote est très content de moi ce matin. J’ai joué une partie du Concerto en sol mineur de Mendelssohn sans une seule faute. Le lendemain à l’église Russe, la Trinité. L’église était tout ornée de fleurs et de verdure. On a fait des prières où le