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JOURNAL

moi d’un air des plus imperturbables. Je suis allée chez moi, et elle a demandé à parler à maman…

Cette nuit, j’ai eu un horrible rêve : Nous étions dans une maison que je connais pas, quand tout à coup, moi ou je ne sais qui, je ne m’en souviens pas, regarde par la fenêtre : je vois le soleil qui s’agrandit, et couvre presque la moitié du ciel, mais il n’est pas brillant et n’échauffe pas. Puis, il se divise, un quart disparaît, le reste se divise en changeant de couleur, nous sommes aurifiés ; puis, il se couvre à moitié d’un nuage, et tout le monde s’écrie : « Le soleil s’est arrêté ! » Comme si sa fonction naturelle était de tourner. Il est resté quelques instants immobile, mais pâle ; puis, toute la terre est devenue étrange ; ce n’est pas qu’elle ait chancelé, je ne puis exprimer ce que c’est, cela n’existe pas dans ce que nous voyons tous les jours. Il n’y a pas de parole pour exprimer ce que nous ne comprenons pas. Puis encore il s’est mis à tourner comme deux, l’une dans l’autre, c’est-à-dire que le soleil clair était couvert par instants d’un nuage aussi rond que lui. Le trouble était général ; je me demandais si c’était la fin du monde ; mais je voulais croire que ce n’était que pour un moment. Maman n’était pas avec nous, elle arriva dans une espèce d’omnibus et semblait ne pas être effrayée. Tout était étrange ; cet omnibus n’était pas comme les autres. Puis, je me mis à regarder mes robes ; nous emballions nos affaires dans une petite malle. Mais à l’instant tout recommence. C’est la fin du monde, et je me demande comment Dieu ne m’en a rien dit, et je me demande comment je suis digne d’assister à ce jour, vivante. Tout le monde a peur,