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JOURNAL

cheval, en calotte de toile cirée en forme de casque, et sa pique à la main qui, tout à cheval qu’il soit, touche la terre et se lève encore au-dessus de sa téte, galope, va et vient et ne fait rien. J’arme mon fusil, ajuste ma gibecière contenant un mouchoir de poche et une paire de gants, tousse.. et je suis prėte.

Me voilà donc seule au milieu de la forêt avec un fusil tout chargé et armé dans les mains, de l’humidité dans les pieds, et de la froidure partout. Mes talons d’acier s’enfonçaient dans cette terre mouillée de la pluie d’hier qui augmentait le froid et m’empêchait de marcher. Que pensez-vous que je fis à peine seule ? Oh ! c’est bien simple, je regardai d’abord ce qu’on voyait à travers les arbres : du ciel, un ciel gris et froid ; ensuite, je regardai autour de mɔi, je vis des arbres hauts, mais déjà automnés, et apercevant le manteau de mon père par terre, je m’étendis dessus et me pris à songer… En cet instant je sens quelque chose de tiède tout près de moi… je me retourne… Ciel !… trois animaux ! aussi doux que caressants. Le grand chien noir et les deux petits chiens noirs, Jouk I et Jouk II

Enfin, je distinguai un coup de fusil : le signal… Aussitôt les cris de nos paysans, très-loin encore. A mesure qu’ils se rapprochaient, ma rêverie s’éloignait, et quand ils furent assez près pour qu’on půt ressentir l’émotion que causent toujours les cris de beaucoup de gens hurlant tous ensemble même pour rire, je me evai sur pied, sautai sur mon fusil et dressai l’oreille. Les cris s’approchaient, j’entendais déjà les coups qu’on donnait aux branches avec les piques pour augmenter le tapage.

Il me semblait à chaque instant entendre des craque-