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JOURNAL

bas. Ce morceau de drap n’est retenu que par une ceinture de laine de couleur. On met un tas de colliers au cou et un ruban autour de la tête. Les cheveux sont tressés en une natte au bout de laquelle pendent un ou plusieurs rubans. J’ai envoyé acheter un pareil habillement chez des paysans, je m’en revêtis et, accompagnée de nos jeunes gens, je m’en allai par le village. Les paysans ne me reconnaissaient pas, car je n’étais pas costumée comme une demoiselle, mais j’étais bel et bien habillée en paysanne, en fille ; les femmes mariées se mettent autrement. Quant à mes pieds, ils étaient chaussés de souliers noirs à talons rouges. Je saluai tout le monde et, arrivés près du cabaret, nous nous assimes près de la porte. Ce fut mon père qui a été surpris… mais enchanté. Tout lui va ! s’écria-t-il. Et nous faisant monter tous les quatre dans son chariot d’excursion, il nous promena par les rues. Je riais aux éclats, au grand ébahissement des braves gens, qui se demandaient quelle était cette jeune paysanne promenée par « le vieux seigneur » et « les jeunes messieurs ». Rassurez-vous, papa n’est pas vieux. Un tam-tam chinois, un violon et une bofte à musique firent les frais de la soirée. Michel tapait dans le tam-tam, je jouais.du violon (jouais, seigneur Dieu !), la boite joua toute seule. Au lieu de se coucher de bonne heure comme c’est —

son habitude, l’auteur de mes jours restajusqu’à minuit avec nous. Si je n’ai pas fait d’autre conquête, j’ai fait celle de mon père. Il cherche mon approbation en parlant, il m’écoute avec attention, il me laisse dire ce que je veux de la T… et me donne raison. La boite à musique est son cadeau à la princesse ;