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JOURNAL

grande ; quand il sera avec moi, je serai toujours gaie…

Mme Savelieff est morte hier soir. Moi et maman, nous allâmes chez elle. Il y avait là beaucoup de dames. Que dire de cette scène ? douleur à droite, douleur à gauche, douleur au plafond, douleur au plancher, douleur dans la flamme de chaque cierge, douleur dans l’air même. Mme Paton, sa fille, a eu une crise ; tout le monde pleurait. Je lui ai embrassé les mains, je l’ai menée et assise à côté de moi, je voulais lui dire quelques mots de consolation, mais je ne pouvais pas. Et quelles consolations ! le temps seul ! Et puis je trouvais toutes les consolations banales et bêtes, je dis que le plus à plaindre était le vieux qui restait seul ! seul !! seul !!! Ah ! mon Dieu, que faire ? Je dis que tout doit finir. Voilà mon raisonnement. Mais si quelqu’un des nôtres mourait, je ne le mettrais pas en pratique. Aujourd’hui, j’ai eu une grande discussion avec mon professeur de dessin, M. Binsa : je lui ai dit que je voulais étudier sérieusement, commencer par le commencement ; que ce que je faisais ne m’apprenait rien, que c’est du temps perdu, que je veux dès lundi commencer le dessin. Ce n’est pas de sa faute s’il ne me faisait pas étudier comme il faut. Il a cru qu’avant lui j’ai pris des leçons et que j’avais fait tous les yeux, bouches, etc., et ce dessin qu’on lui a montré est le premier dessin que j’aie fait de ma vie et par moi-même.

Voici une journée qui se sépare un peu des autres jours si monotones et si toujours les mêmes. À la leçon,