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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

crier, ni rien dire ; quand maman l’a touchée, elle a poussé un gémissement. Le vieux Savelieff nous a rencontrées sur l’escalier et, fondant en larmes, il prit la main de maman en sanglotant, et lui dit : « Vous êtes vous-même malade, vous ne vous soignez pas, voyez-vous, pauvre ! » Puis je l’ai embrassé en silence. Puis est arrivée sa fille ; elle s’est jetée sur le lit, appelant sa mère ! Il y a cinq jours qu’elle est dans cet état. Voir sa mère mourir de jour en jour ! Je suis allée avec le vieux dans une autre chambre. Comme il a vieilli en quelques jours ! Tout le monde a une consolation, sa fille a ses enfants, mais lui, seul ! ayant vécu avec sa femme trente ans, c’est quelque chose ! A-t-il bien ou mal vécu avec elle ? mais l’habitude fait beaucoup. Je suis retournée plusieurs fois auprès de la malade. La femme de charge est tout éplorée ; c’est bien de voir dans une domestique un si grand attachement pour sa maîtresse. Le vieux est devenu presque un enfant.

Ah ! quand on pense comme l’homme est misérable ! Chaque animal peut, quand cela lui plaît, faire la figure qu’il veut ; il n’est pas obligé de sourire quand il a envie de pleurer. Quand il ne veut pas voir ses semblables, il ne les voit pas, et l’homme est l’esclave de tout et de tous ! Et cependant moi-même je m’inflige cela, j’aime à aller, j’aime qu’on vienne.

C’est la première fois que je vais contre mon désir, et combien de fois serai-je obligée, ayant envie de pleurer, serai-je forcée de sourire, et c’est moi-même qui me suis choisi cette vie, cette vie mondaine ! Ah ! mais, alors je n’aurai plus de chagrin quand je serai