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JOURNAL

une cause, persuadée que ce plus ou moins grand malaise provient de quelque chose, et n’est point au contraire un simple effet du manque d’amusement ou de la solitude.

Mais ici, à Gavronzi, je ne désire rien, je ne regrette rien, tout va selon mes désirs et pourtant je suis ennuyée. Faut-il donc croire simplement que je m’ennuie à la campagne ? Nescio… Mais au diable ! Quand on se mit aux cartes, je restai avec Gritz et Michel dans mon atelier. Décidément Gritz est changé depuis hier. Il y a un certain embarras dans ses manières, que je n’explique pas. La partie de demain est remise à jeudi et il veut partir pour un grand voyage. J’étais préoccupée et on m’en fit la remarque. D’ailleurs depuis quelque temps déjà je plane entre deux mondes ; on me parle et je n’entends pas. Les messieurs allèrent se baigner dans la rivière qui est belle, profonde et ombragée d’arbres à l’endroit où l’on se baigne, et je suis restée avec la princesse sur le grand balcon qui forme une entrée couverte pour les voitures.

La princesse me raconta entre autres une histoire curieuse. Hier Michel vient chez elle et lui dit : « Maman, mariez-moi. — Avec qui ? -Avec Moussia. — Imbécile, mais tu n’as que dix-huit ans. » — Il insista si sérieusement qu’elle fut obligée de lľ’envoyer au diable.

Seulement, ajouta-t-elle, chère Moussia, ne le lui racontez pas, il me mangerait ! Ces messieurs nous trouvèrent encore au balcon humant une chaleur exaspérante ; car d’air il n’en faut pas parler, et le soir pas la plus légère brise. Mais la vue est charmante. En face, la maison rouge et les