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JOURNAL

Il n’a pas du tout changé : le même teint éclatant, le même regard terne, la méme bouche petite et légèrement dédaigneuse, une moustache microscopique. Parfaitement mis et d’excellentes manières. Nous nous regardions avec curiosité, Michel faisait des grimaces sarcastiques. Papa clignait des yeux comme toujours.

Je n’avais pas faim du tout. Il était temps d’aller au théâtre, qui se trouve dans le jardin, comme le restaurant. Je

proposai de nous promener un peu et d’y aller ensuile. Le modèle des pères se précipila entre moi et Gritz, et lorsqu’il fut temps d’aller au théâtre il accourut et me présenta vivement son bras. Un vrai père, parole d’honneur, comme dans les livres. Une immense avant-scène des premières, tendue de drap rouge, — en face du préfet. Un bouquet du prince qui passe la journée à me faire des déclarations pour recevoir des : Allez-vous-en, mon cher ! — ou bien,

Vous êtes la fleur des gommeux, mon cousin !

Peu de monde et une pièce insignifiante. Mais notre loge renfermait à elle seule beaucoup d’intérêt. Pacha est un homme curieux… Franc et droit jusqu’à l’enfantillage, il prend tout au sérieux et dit tellement ce qu’il pense, avec tant de simplicité, qu’il me semble parfois qu’il cache sous cette bonhomie un immense esprit de sarcasme. Il reste quelquefois dix minutes sans rien dire et quand on lui parle, se secoue comme après un rėve. Lorsqu’à un compliment de lui