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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

voyagé, malgré cela très serviable.-L’arrivée soudaine de mes huit malles nous procura deux romances chantées par moi, et du piano. Enfin je m’occupai de ma broderie en entrant jusqu’aux oreilles dans une conversation sur la politique en France, montrant des connaissances au-dessus de mon… sexe. Ce second Hamaley si barbu restajusqu’à dix heures. J’ai fatigué jusqu’à onze heures ma pauvre voix à peine remise du rude climat de Saint-Pétersbourg. Dans la bienheureuse Chpatowka, on ne fait que manger ; on mange, puis on se promėne pendant une demi-heure, puis on mange encore et comme cela toute la journée.

Je marchais doucement appuyée au bras de Paul, avec mes pensées errant au diable, lorsqu’en passant sous des branches qui descendaient très bas au-dessus de nos têtes et formaient un plafond de feuilles entrelacées, je me figurai ce que dirait A… si j’étais à son bras, en passant par cette allée. Il me dirait, en se penchant légèrement vers moi ; il me dirait de cette voix langoureuse et pénétrante dont il ne parlait qu’à moi… il me dirait : « Gomme on est bien ici et comme je vous aime ! »

Rien ne peut donner une idée de la tendresse de sa. voix quand il me parlait, quand il disait des choses qui étaient pour moi — seule. Ces manières de chat tigre, ces yeux qui vous brûlaient et cette voix enchanteresse, voilée et vibrante qui murmurait des paroles amoureuses et qui semblait se plaindre ou supplier… avec tant d’humilité, tant de tendresse, tant de passion !… Il ne s’en servait que pour moi seule. Mais c’était une tendresse vide, celle de tout le monde, et s’il semblait pénétré, c’est que c’était sa manière d’étre, car souvent il y a des gens qui