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JOURNAL

tophélès pervertit Marguerite. La propagande fait son œuvre infâme, et le jour où ce bon peuple, excité, trompé, se soulèvera… ce sera terrible, car, si en temps de paix’et de calme, il est doux et simple comme un mouton, en se révoltant, il serait féroce jusqu’à la rage, cruel jusqu’au délire, Mais l’amour pour l’Empereur est encore grand, Dieu merci, et le respect de la religion aussi. Il y a quelque chose de touchant dans la dévotion et la loyauté du peuple.

Sur la place du Grand-Théâtre se promėnent des troupeaux entiers de pigeons gris ; ils ne s’effrayent nullement des voitures, et les roues passent à deux doigts d’un pigeon sans qu’il s’en inquiète. Vous savez, les Russas ne mangent pas ces oiseaux, parce que c’est sous la forme d’un pigeon qu’est figuré le SaintEsprit. Je

ne veux rien visiter cette fois, Moscou veut une semaine de temps. En retournant, avec de l’argent, je verrai toutes les curiosités historiques. Je n’ai fait qu’apercevoir le Kremlin, car, au moment où on me le montrait, mon attention était absorbée par un fiacre, dont l’extérieur était peint en imitation de malachite. Parmi les noms exposés dans le vestibule de l’hôtel, j’ai lu celui de la princesse Souwaroff. J’envoyai de suite Chocolat demander si elle voulait me recévoir, et Chocolat vint me dire que Madame la princesse était sortie jusqu’à sept heures. L’oncle Etienne dort, et j’écris au salon. Sur le revers de la note du déjeuner, on imprime un appel désespéré au peuple et au clergé russes, de la part du Comité slave de Moscou. Cette proclamation déchirante m’a été remise ce matin à mon arrivée. Je la garde.