Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/244

Cette page n’a pas encore été corrigée
241
DE MARIE BASHKIRTSEFF.

que je n’en tire pas profit !… J’étudiais d’après nature comment on pleure.

Assez, ma fille ! dis-je en me levant. Il était temps, j’étais en Russie. En descendant je fus reçue dans les bras de mon oncle, de deux gendarmes et de deux douaniers. On me conduisit comme une princesse, on ne visita pas même mes bagages. La gare est grande, les fonctionnaires sont élégants et excessivement polis. Je me croyais dans un pays idéal, tant tout est bien. Un simple gendarme ici est mieux qu’un officier en France.

Et ici, plaçons une remarque à la justification de notre pauvre Empereur, qu’on accuse d’avoir des yeux étranges. Tous ceux qui portent des casques (et il n’y en a pas mal à Wirballen) ont des yeux comme l’Empereur. Je ne sais si cela tient au casque qui tombe sur les yeux, ou à l’imitation. Quant à l’imitation, c’est connu en France, tous les soldats ressemblaient à Napoléon.

On me donna un compartiment à part et, après avoir causé d’affaires et d’autres choses avec l’oncle, je m’endormis en rageant de ma dépêche à A.. Aux buffets des stations, on mange très proprement, de sorte que je descendais souvent : Mes compatriotes n’éveillent en moi aucune émolion particulière, aucune espèce d’extase comme j’en éprouve en revoyant des pays que j’ai déjà vus, mais j’éprouve beaucoup de sympathie pour eux et il m’en revient un grand sentiment de bien-être. Et puis, tout est si bien accommodé, on est si poli, il y a dans la contenance de chaque Russe tant de cordialité, tant de bonté, tant de franehise, qu’on en a le ceur content.

L’oncle est venu me réveiller ce matin à dix heures. M. B.

21