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JOURNAL

voilà que mes cheveux tombent. Qui ne l’a jamais éprouvée, ne peut pas.comprendre quelle douleur c’est, de voir tomber ses cheveux. L’oncle Étienne télégraphie de Konotop ; aujourd’hui seulement il se met en route. Encore vingt-quatre heures d’Eydtkühnen, S. V. P. I Un ciel gris, un vent froid, quelques juifs dans la rue, de temps en temps le bruit d’une charrette et des inquiétudes de tous genres à foison.

Ce soir ma tante voulut me faire parler de Rome… Depuis longtemps déjà je n’avais pas pleuré, — non pas d’amour, — non, mais c’est d’humiliation au souvenir de notre vie à Nice, que j’ai pleuré ce soir ! Jeudi 3 août ; vendredi 4 août (23 juillet, style russe). Hier à trois heures je suis allée voir l’arrivée du train, et par bonheur mon oncle était là. Mais il ne pouvait rester qu’un quart d’heure, car à la frontière russe, à Wirballen, il avait avec peine obtenu de venir ici sans passe-port ; il avait donné sa parole d’honneur à un officier de la douane de revenir par le train suivant. Chocolat courut chercher ma tante, il n’y avait que quelques minutes. Quand elle arriva, on n’eut que le temps de dire deux mots. Ma tante, dans son inquiétude pour moi, en rentrant à l’auberge, s’imagina qu’elle avait remarqué chez l’oncle un air étrange et, par toute sorte de demi-paroles, me découragea tellement que je commençai à être aussi inquiète. Enfin à minuit je suis montée en voiture ; ma tante pleurait, je tenais mes yeux hauts et immobiles pour qu’ils ne débordassent pas. Le conducteur donna le signal et pour la première fois de ma vie je me suis trouvée seule ! Je me mis à pleurer tout haut, mais si vous croyez