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JOURNAL

Décidément la vie d’Eydtkühnen me charme ; je m’adonne à l’instruction du jeune Chocolat, qui fait d’excellents progrès, en morale et en philosophie. Ce soir, je lui fis réciter son histoire sainte, puis, lorsqu’il fut arrivé au moment où Jésus va étre trahi par Judas, il me raconta d’une façon très touchante comment ledit Judas vendit le Seigneur pour trente pièces d’argent et l’indiqua aux gardes en l’embrassant. —

Chocolat, mon ami, dis-je, me vendrais-tu à des ennemis pour trente francs ? Non, dit Chocolat en baissant la tête. — — Et pour soixante ? — Non plus.

Et pour cent vingt ? Non plus.

— Alors pour mille francs ? demandai-je encore.Non, non, répondait Chocolat en tourmentant le bord de la table avec ses doigts de singe, les yeux baissés et les pieds agités. Voyons, Chocolat, si on t’en donnait dix mille ? persistai-je affectueusement. — Non plus.

— Brave garçon ! Mais si on t’offrait cent mille francs ? demandai-je encore pour l’acquit de ma conscience. Non,

dit Chocolat, et sa voix se changea en murmure, il m’en faudrait plus… Qu’est-ce que tu dis ? Qu’il m’en faudrait plus. — Alors, excellent ceur, dis combien, dis donc, fidèle garnement ! Vcyons, deux millions, trois, quatre ? Cinq on six.

Mais, malheureux, m’écriai-je, n’est-ce pas la