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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

J’ai mal chanté ? dis-je enfin, j’avais si peur ! Ah ! mademoiselle, il faut s’habituer, il faut surmonter cette peur, elle serait très mal venue sur la scène.

Mais j’étais enchantée de ce que l’homme avait dit ; car ce qu’il a dit, c’est énorme pour une pauvre fille qui ne lui donnera aucun profit. Habituée que je suis aux flatteries, ce ton grave et iudiciaire me parut froid, mais je compris de suite qu’il élait content.

Il disait : « Il faut travailler, il y a du bon, » c’est énorme déjà.

Pendant ce temps ; l’accompagnateur me toisait, m’examinait minutieusement la taille, les bras, les mains, la figure. Je baissais les yeux et rougissais en priant ces dames de sortir. Wartel était assis, moi debout, devant son fauteuil. Vous avez pris des leçons ? Jamais, monsieur ; dix leçons seulement, c’est-àdire. —

Oui ; enfin, il faut travailler. Vous pouvez chanter une romance ?

Je sais une chanson napolitaine, mais je n’en ai pas la musique.

— L’air de Mignoni eria ma tante de l’autre chambre. — Fort bien ; chantez l’air de Mignon. Pendant que je chantais, la figure de Wartel, qui n’exprimait d’abord que l’attention, exprima une légère surprise, puis de l’étonnement et, enfin, il se laissa aller jusqu’à remuer la tête en mesure, sourire agréablement et chanter lui-même. Hein ! fit l’accompagnateur. Oui, oui, fit le maître avec la tête. Je chantais, très agitée. M. B.

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