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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

ber dans le bassin ; tout alentour, des arbres touffus donnent à ce coin un air de bien-être, de mystère, qui rend paresseux, qui fait rêver.

Pourquoi l’eau fait-elle toujours rêver ?

Je restai au jardin, et regardai un vase dans lequel pousse un admirable canna rose, en pensant comme ma robe blanche et ma couronne verte devaient faire bien dans ce délicieux jardin.

N’ai-je donc pas d’autre but dans la vie que de m’habiller avec tant d’art, m’orner de feuillage et penser à l’effet ?

Franchement, je crois que si on me lisait, on me jugerait ennuyeuse. Je suis si jeune encore, je connais si peu la vie !

Je ne puis pas parler avec cette autorité ou cette impudence propre aux écrivains qui ont l’exorbitante prétention de connaître les hommes, de dicter des lois, d’imposer des maximes.

Ma femme de chambre vient m’apporter à voir un corsage pour demain ; cela me rappelle que demain je vais partir.

Je rentrai chez moi, suivie de tous les chiens ; je tirai la boîte blanche près de la table. Ah ! voilà le regret principal !… Mon journal… c’est la moitié de moi-même. Chaque jour j’avais l’habitude de feuilleter un de mes cahiers, soit que je voulusse me rappeler Rome ou Nice, ou des choses plus anciennes encore !

Il faisait trop beau !

Et comme exprès, la veille de mon départ, la lune se montra brillante et pâle, éclairant toutes les beautés